Décryptage

La désinformation fait rage contre l’initiative Biodiversité

Valentine Python
Par
Valentine Python
le
30/8/24
En bref

Une large campagne de désinformation, omniprésente sur les réseaux sociaux, se déverse à l’encontre de l’initiative Biodiversité. Un décryptage par Valentine Python, climatologue (Dr. EPFL), géographe et ancienne conseillère nationale.

La campagne au sujet de l’initiative biodiversité qui sera votée en Suisse le 22 septembre 2024 fait l’objet d’une diffusion massive de désinformation, mal-information et mésinformation (MDM). La désinformation désigne le fait de mentir, d’inventer de toute pièce de fausses informations et de les diffuser sciemment dans le but de nuire et/ou de garantir des intérêts propres. Il s’ agit de distinguer la désinformation de la mal-information et de la mésinformation. La première désigne la présentation volontairement trompeuse d’un fait réel, à caractère partiellement véridique, mais dont la transmission tronquée de l’information est utilisée également pour nuire et/ou garantir des intérêts propres. Quant à la mésinformation, elle désigne le fait de rediffuser et répéter de la désinformation et de la mal-information sans en connaître le caractère mensonger et/ou manipulatoire. [1]

Le 16 août, les sondages annoncent l’initiative gagnante à 51% [2],mais attention la campagne ne fait que commencer. Les faiseurs de MDM passent à l’action surtout lors des dernières semaines et jours du scrutin, principalement via les réseaux sociaux. Il est par conséquent essentiel que les initiants anticipent les effets de la diffusion massive des MDM dans l’espace politique, médiatique et numérique sur la question et les enjeux de l’effondrement de la biodiversité. Car elle peut aboutir infine non pas à une meilleure prise de conscience et sensibilisation de la population, mais au contraire à une minimisation du phénomène sur la base de l’idée que « en Suisse, nous en faisons déjà assez » et que « la production agricole est en danger». Pour commencer, il est donc nécessaire d’établir les faits concernant l’effondrement de la biodiversité en Suisse ainsi que sur les demandes concrètes de l’initiative.

L’effondrement de la biodiversité en Suisse

Selon l’Office fédéral de l’environnement, en Suisse, 35% des 56 000 espèces de plantes, animaux et champignons documentées en 2023 sont éteintes ou menacées d’extinction. Contrairement à une idée reçue, la situation en Suisse est encore plus préoccupante que chez nos voisins européens :concernant les oiseaux nicheurs par exemple, la part d’espèces menacées est de plus de 41% chez nous, contre 27% en France. Ou au sujet des amphibiens et des poissons d’eau douce, elle est de plus de 81% et 75% chez nous contre 30% en Allemagne ou moins de 20% en France. De plus, le risque d’extinction des espèces a encore augmenté entre 2016 et 2022 par rapport à 2001 et 2007 que ce soit pour les plantes, les oiseaux, les poissons et les reptiles. [3]

La perte de diversité génétique s’accompagne de la perte de diversité fonctionnelle (ou écosystémique). Près de la moitié des 230 milieux naturels du pays sont en train de disparaître et la qualité écologique de l’ensemble, tels que prairies sèches, rivages lacustres ou zones alluviales alpines, continue de régresser, même dans les biotopes d’importance régionale, pourtant protégés [4]. Or sans diversité de milieux, pas de diversité d’espèces, et vice-versa. Non seulement ces milieux sont nécessaires au bon fonctionnement des processus naturels, mais également garant d’un équilibre sans lequel notre société ne saurait évoluer et survivre comme la purification de l’air, de l’eau et des sols, la stabilisation du terrain et la régulation du climat. Par exemple, 84% des marais ont disparus en Suisse, alors qu’ils sont parmi les écosystèmes qui stockent les plus grandes quantités de carbone.

En Suisse, la disparition des milieux est provoquée par l’urbanisation galopante, l’agriculture intensive, le développement des voies de transports, le tourisme non durable et l’empoisonnement de l’eau, de l’air, des sols et des organismes vivants par la diffusion de substances chimiques persistantes, toxiques et perturbatrices hormonales comme les pesticides de synthèse, les microplastiques, les rejets industriels et domestiques. A cette pollution chimique, s’ajoutent les effets de la pollution lumineuse et sonore. A tout cela s’additionne l’effet néfaste de taux d’azote beaucoup trop élevés dans l’air, dans l’eau et dans les sols, issus principalement d’épandages d’engrais trop fréquents et trop importants pour respecter les cycles naturels, en lien avec une quantité d’animaux de rentes (bovins, porcins et poulets)disproportionnée sur le Plateau suisse.

La disparition des sols naturels, à la base de toute forme de vie terrestre, se poursuit à un rythme effrayant. Les surfaces bâties, principalement en raison de l’étalement des aires d’habitation, ont augmenté de 61% entre 1985 et 2018, soit deux fois plus vite que la population ! [5]

Le réchauffement climatique est un facteur supplémentaire de déstabilisation de nos écosystèmes. La rapidité des changements ne laisse pas le temps aux espèces de s’adapter, les aires de répartition sont bouleversées, le décalage rapide du début de la période de végétation se répercute sur les chaînes alimentaires. Le réchauffement, tout en fragilisant les espèces indigènes, favorise le développement d’espèces invasives. Ces espèces, importées et diffusées intentionnellement ou non par le commerce et le tourisme international, ne rencontrent pas de prédateurs ou de concurrents directs dans leur nouveau milieu de vie et prolifèrent aux dépens des espèces indigènes.

Surfaces protégées en Suisse

Face à une telle pression anthropique, ce qui distingue la Suisse depuis une trentaine d’années, c’est la faible proportion de surfaces protégées par rapport à l’ensemble de son territoire. Les zones faisant l’objet d’une protection spécifique des espèces et des habitats ne représentent que 6,7% du territoire suisse en 2023. Il s’agit du parc national dans les Grisons, des réserves d’oiseaux d’eau et migrateurs, des districts francs fédéraux(zones d’interdiction de la chasse) et des biotopes d’importances nationales dispersés sur le territoire. Ceux-ci sont composés de hauts et bas-marais, des zones alluviales, des sites de reproduction des batraciens ainsi que des prairies et pâturages secs. Ces dernières sont les seuls à conjuguer le statut de biotopes et de surfaces agricoles (représentant moins de 8% du total des zones protégées). [6] La Suisse a d’ailleurs été épinglée dans le rapport de l’OCDE de 2017 pour l’insuffisance de son action en faveur de la biodiversité, rappelant que les accords internationaux d’Aichi, depuis 2010, fixent l’objectif commun de 17% de protection des territoires nationaux pour 2020 afin de résoudre la crise mondiale de la biodiversité  [7].Ces insuffisances placent la Suisse derrière tous les pays européens, dont la moyenne d’aires protégées relativement à la superficie totale est de 26%,l’Autriche par exemple est à 15%, le Royaume-Uni à 9% et la Slovénie, le meilleur élève avec 38%. [8]

Selon le rapport spécialisé d’InfoSpecies de l’Université de Neuchâtel « Estimation des surfaces de qualité existantes et des besoins en surface supplémentaire », [9] il existe un besoin supplémentaire de 650 000 hectares de qualité pour la survie de la biodiversité en Suisse, soit plus de 15% de la surface totale du pays. Cela tenant compte des surfaces déjà protégées ainsi que des surfaces de promotion de la biodiversité en agriculture. Cela peut s’obtenir tant par le moyen de zones nouvellement protégées que par des surfaces revalorisées. L’enjeu est de les créer au bon endroit pour connecter et agrandir des surfaces de qualité existantes, afin d’obtenir une meilleure mise en réseau dans le paysage. Cette analyse a été obtenue sur la base des données enregistrées des millions d’observations d’espèces, qui ne trouvent plus de quoi satisfaire leurs besoins fondamentaux (nourriture, habitat, reproduction, etc.), ainsi que sur les statistiques de présence des espèces.

Ce que demande l’initiative biodiversité

Face à ces constats, les demandes de l’initiative, pourtant qualifiée d’ « extrême » par le camp du non, restent très modestes. IL N’Y A AUCUNE DEMANDE CHIFFREE sur la surface totale du territoire national qui devrait faire l’objet d’une protection. Le texte est formulé comme suit [10] :

En complément à l’art. 78, la Confédération et les cantons veillent, dans le cadre de leurs compétences :

a. à préserver les paysages, la physionomie des localités, les sites historiques et les monuments naturels et culturels dignes de protection ;

b. à ménager la nature, le paysage et le patrimoine bâti également en dehors des objets protégés ;

c. à mettre à disposition les surfaces, les ressources et les instruments nécessaires à la sauvegarde et au renforcement de la biodiversité.

Il faut effectivement savoir que la constitution suisse n’intègre toujours pas spécifiquement l’objectif de sauvegarde de la biodiversité et que le plan d’action de la confédération est au point mort depuis 2017 par manque de financement et de personnel alloué (résultat des décisions budgétaires de la majorité parlementaire de droite), comme le répond le conseil fédéral lui-même:« Dès 2017 et en raison du manque de ressources, le Conseil fédéral a dû reporter plusieurs mesures pour la deuxième phase de mise en œuvre du plan d’action Stratégie Biodiversité Suisse » [11]. De plus, la constitution relègue aux cantons l’intégralité du poids de la protection de la nature et du patrimoine, alors que pour stopper l’effondrement de notre biodiversité la planification des infrastructures écologiques et les corridors faunistiques requièrent évidemment l’implication et le soutien de la Confédération.

Ce texte adonc comme objectif de placer la confédération face à ses responsabilités concernant un enjeu primordial car lié à : notre capacité de résilience face au réchauffement climatique, notre souveraineté alimentaire, nos ressources vitales (air, eau, sols) et donc notre santé. Tout cela étant étroitement dépendant du bon fonctionnement de nos écosystèmes.

Mais il laisse au législateur et à l’administrateur le soin d’adapter le budget et de fixer les objectifs spécifiques pour cela, ce qui avait été fait au conseil national l’année passée avec la production d’un contre-projet qui représentait un bon compromis entre les différents intérêts en jeu, conformément à la tradition helvétique, mais que le conseil des États a balayé en juin dernier, fort d’une nouvelle répartition qui favorise de façon disproportionnée les représentants de l’industrie, de la construction et de l’agriculture intensive, au détriment de l’écologie.

Positions de l’UDC et de l’USP

Les deux principaux groupes, ouvertement, opposés à l’initiative, sont le parti de droite conservatrice, l’UDC, et l’Union suisse des paysans (USP). Ces deux entités se sont illustrées ces dernières années pas leurs positions en faveur des intérêts de l’agrochimie plutôt que de ceux des agriculteurs. Par exemple en recommandant le rejet d’une13ème rente vieillesse à leurs abonnés pourtant confrontés à la baisse des prix à la production ou en ne soutenant pas la reconnaissance des maladies professionnelles provoquées par l’exposition chronique aux pesticides. Ces positions s’expliquent parfaitement par l’alliance passée entre économie suisse et l’USP en 2017 pour faire capoter l’initiative multinationales responsables, ainsi que par la dualité de la composition du groupe UDC, qui n’a plus rien de centriste depuis l’ère Blocher et les conflits d’intérêts qui lient directement ce parti à l’industrie de la chimie (pétrochimie, plastiques et agrochimie), personnifiés par la conseillère nationale Magdalena Martullo Blocher, fille du milliardaire ex-conseiller fédéral. Siégeant à la commission de l’économie et des redevances agricoles, elle est également la patronne de la multinationale chimique EMS et membre du comité directeur de Scienceindustries [12]. Il s’agit du conglomérat industriel le plus puissant de Suisse, disposant d’une influence à l’échelle mondiale. Contrairement à ce que cette appellation laisse suggérer, la recherche scientifique indépendante n’y a pas sa place, dans une organisation visant la mise en commun d’intérêts financiers gigantesques. Toute l’agro-industrie y est représentée, le géant Bayer bien évidemment ainsi que Syngenta, racheté depuis quelques années par le chinois Chimchina.

Les stratégies de communication de l’UDC et de l’USP relèvent doublement de la désinformation et de la mal-information, définie comme étant à caractère partiellement véridique, mais dont les informations sont détournées, fragmentées et utilisées pour induire en erreur. Car non seulement, quand ils ne sont pas simplement inventés ou sortis de leur contexte, leur signification est sciemment mal interprétée. La stratégie consiste à manipuler les données non seulement pour donner l’idée que l’agriculture en fait assez en passant sous silence l’impact de la pollution chimique et des engrais, mais également afin de détourner complètement l’attention au sujet de la responsabilité d’autres grands acteurs économiques, comme le secteur de la construction ou du tourisme, en particulier de montagne. Il s’agit ainsi de pouvoir continuer de surfer sur le fossé « citadins écolos qui n’y connaissent rien » et« campagnes victimes de cette ignorance », que ces acteurs ont contribué à creuser ces dernières années. Le tout est ensuite relayé par les internautes, ciblés ou non, et auditeurs (radio, TV), c’est la mésinformation, pour aboutir à la manipulation de masse de l’opinion publique.

La manipulation des chiffres de l’USP

L’USP diffuse depuis quelques semaines une video sur Youtube qui condense cette manipulation des chiffres et des concepts [13]. Après une introduction très générale sur l’évolution de l’utilisation des terres qui amalgame processus de sédentarisation, industrialisation et mondialisation, alors qu’il faudrait parler avant tout de la transformation des modes de production agricoles depuis les années 1950, il est affirmé que « l’introduction des paiements directs en 1990 est la conséquence d’une prise de conscience collective liée à l’écologie et au bien-être animal », il n’est surtout pas précisé que la raison principale de la création des paiements directs a été l’abandon en 1992 de la garantie des prix des denrées agricoles par la Confédération, fixés par l’ancienne politique agricole (PA) qui protégeait nos agriculteurs de la fluctuation des prix ainsi que de la concurrence étrangère. Ensuite seulement, des prestations écologiques requises (PER) ont été introduites graduellement [14].

Il est prétendu dans la vidéo que « Chaque exploitation doit mettre à disposition 7% de sa surface pour promouvoir la diversité végétale et animale (SPB), et que donc cette surface est actuellement de 16% ». Cette affirmation est trompeuse car :

1.     Il n’est pas vrai que ce chiffre de 7% concerne chaque exploitation agricole du pays. Les « cultures spéciales » (CSP), à savoir arboriculture, viticulture et maraîchage, qui, en culture conventionnelle, sont justement les plus dépendantes des insecticides et fongicides, ne doivent mettre à disposition que 3.5% de leur surface en SPB [15].

2.     Le chiffre de 16% de« surface consacrée à la promotion de la biodiversité » est avancé. Il n’est pas précisé qu’il s’agit de 16% de la « surface agricole utile » (SAU), qui ne représente qu’un peu plus du quart du territoire national (1 042 500 ha, soit 10 425 km2 par rapport à 41 285 km2). Ce qui est logique compte tenu de la proportion importante de montagnes, impropres aux cultures, de notre pays. Ainsi 16% de la SAU par rapport à la superficie TOTALE du pays, correspond à seulement 3,9 % de surface de promotion de la biodiversité (SPB), en lien avec les prestations écologiques requises, elles-mêmes liées aux paiements directs.

3.     Les SPB, qui comprennent la préservation au sein de l’exploitation des arbres hautes tiges, de haies, de différents types de prairies, sèches, humides, etc. sont sans surprise principalement le fait de l’agriculture biologique qui représente 18% de la SAU, mais très inégalement répartie. Elle est par exemple de 77% en Engadine (GR),mais de seulement 7% dans le Seeland (maraîchage) [16].

4.      Autre chiffre intéressant, en 2022, ce sont également 16% des 2,779 milliards de paiements directes qui sont attribués à la promotion de la biodiversité ! [17] Selon le même rapport agricole, toujours en 2022 : « La part moyenne de SPB sur la surface agricole utile (SAU) dans l’ensemble des zones était de 17,6 %. Si les arbres fruitiers haute tige, les arbres isolés et les allées sont pris en compte à compter d’un are par arbre, la part de SPB sur la SAU est de 19,3 % ». Sur son site et dans le reste de sa communication, c’est ce chiffre de 19% qui est utilisé.

Toujours selon la vidéo de l’USP : « 75% des surfaces SPB sont reliées entre elle pour favoriser les échanges entre espèces sauvages ». Or ce chiffre provient de l’addition du total par hectare de chaque type de contribution à la biodiversité (prairies extensives, haies, prairies riveraines, jachères florales, etc.), soit 147 556 ha par rapport aux 195 413 hectares totaux de SPB en 2022 [18]. Il est totalement abusif de prétendre que l’ADDITION des zones concernées aboutit de fait à la constitution d’un réseau à l’échelle nationale et à la réalisation de corridors faunistiques. C’est justement ce qui fait cruellement défaut avec le système actuel, en raison de la fragmentation du paysage, de l’isolement des exploitations agricoles biologiques au sein d’exploitations conventionnelles, des contaminations qui en résultent, des infrastructures et constructions qui continuent de grignoter les terres agricoles, etc.

Nous voyons que la similitude des chiffres, des pourcentages, et leur manipulation, en lien avec des concepts agronomiques complexes permet au lobby agroindustriel d’entretenir facilement la confusion et de prétendre que non seulement les objectifs de protection de la biodiversité sont atteints en Suisse, mais qu’en plus ils le sont entièrement grâce au secteur agricole…

Puis, le texte entretient la confusion entre production indigène, qui serait de fait en faveur de la biodiversité, même s’il s’agit d’un mode de production très intensif, ou encore met en avant les produits sous label, mais sans mentionner ceux qui sont de facto le plus en faveur de la biodiversité (le Bourgeon suisse ou Demeter), évacuant une fois de plus la question des pesticides et des excès d’engrais.

Enfin, le message se termine en rappelant que « notre environnement a été façonné par l’homme et que toutes nos actions ont des répercussions sur la nature », empruntant ainsi le vocabulaire des associations de protection de l’environnement et des écologistes afin d’achever la confusion auprès de l’internaute, mais en oubliant de préciser que le modèle de production agricole intensif, défendu et favorisé par les représentants de l’USP au parlement à chaque occasion, exerce une empreinte écologique sans commune mesure avec celle de l’agriculture biologique. Dans la même veine, il est rappelé à bon escient que « les paysans sont tributaires de la biodiversité, pour la pollinisation et la résilience face aux ravageurs », mais pourquoi donc alors ces parlementaires votent systématiquement en défaveur d’une diminution de l’usage des pesticides de synthèse ou d’une politique agricole qui puisse soutenir les reconversions en agriculture biologique, ce qui permettrait d’obtenir des prix plus abordables pour le consommateur et d’enfin améliorer la protection des pollinisateurs dont la première cause d’effondrement est l’exposition aux pesticides? [19]

L’alliance contre l’initiative

Les communicants de l’alliance contre la biodiversité (qui englobe principalement UDC, USP mais également les sociétés d’exploitation des domaines alpins, des forêts, des barrages, etc.) ne se donnent même pas la peine d’entretenir de fausses interprétations des chiffres, ils les inventent purement et simplement. Sur son site, l’alliance met en évidence principalement3 arguments pour rejeter l’initiative biodiversité [20]: 

1.      Elle rendrait « intouchable 30% du territoire national » au détriment de la production alimentaire. Cet argument est mensonger à plus d’un titre.

a.       Premièrement, nous l’avons dit, l’initiative n’avance aucun chiffre concernant la surface nécessaire pour sauvegarder la biodiversité, le texte se contente de demander au législateur et au gouvernement de faire le nécessaire.

b.      Deuxièmement, ce chiffre de 30% est repris fallacieusement du rapport de l’université de Neuchâtel qui précisait, qu’au total, les surfaces aptes à préserver la biodiversité devraient représenter 30% du territoire. S’il eut fallu définir dans le texte de l’initiative un objectif quantitatif, c’est donc celui de 15% de surfaces protégées supplémentaires, tel que recommandé par les scientifiques. Celles-ci peuvent s’obtenir tant par la création de nouvelles surfaces protégées que par la revalorisation de surfaces aptes à élargir le réseau écologique tout en restant dédiées aux activités humaines. C’est le tourisme doux en montagne, le développement des SPB en agriculture, la promotion de la nature en ville, etc. C’est donc bien de nouvelles surfaces « de qualité » dont nous avons besoin.

c.       Troisièmement, ces surfaces sont et seraient distribuées sur l’ensemble du territoire, les besoins supplémentaires pour maintenir ou recréer le réseau écologique étant concentrés en plaine. Comme nous l’avons dit la surface agricole utile n’occupe que le quart de la superficie du pays, il est donc mensonger de prétendre qu’une surface protégée supplémentaire se ferait forcément et uniquement au détriment de la production alimentaire. La comparaison avec la surface de 4 cantons réunis (Berne, Fribourg, Neuchâtel et Soleure) n’a pas lieu d’être, mais a été choisie pour impressionner au maximum les citoyens.

2.      Le chiffre de 19% de LA surface agricole utile consacrée à la promotion de biodiversité est repris, comparé encore une fois à la superficie de cantons (Genève et Fribourg dans ce cas pour les Romands…) mais transformé en 19% DES SURFACES AGRICOLES, et suivi de deux phrases problématiques :

a.       « Or, l’octroi de paiements directs ne présuppose aujourd’hui qu’une surface de 7 % par exploitation », la tournure de la phrase laisse entendre que chaque exploitation consacrerait en moyenne bien plus à la biodiversité

b.      « De plus, il existe 220 000 hectares de surfaces herbagères dans la région d'estivage », alors que ces surfaces sont déjà inclues dans le total de 19%! (voir détail de la part des surfaces de la biodiversité sur la surface agricole utile : https://www.agrarbericht.ch/fr/politique/paiements-directs/contributions-a-la-biodiversite)

3.      Il est prétendu « qu’en cas d’acceptation de l’initiative, la mise en œuvre de la stratégie énergétique suisse et, par conséquent le tournant énergétique, seraient compromis. » Il est parfaitement erroné que l’initiative, telle que décrite, puisse avoir cet effet. Encore une fois, c’est au législateur de résoudre le dilemme entre développement d’énergies renouvelables et protection de la nature. Ce développement est inscrit dans la loi pour l’électricité, mais il pourrait se faire sans représenter une ultérieure menace pour la biodiversité, en privilégiant les zones déjà construites par exemple (barrages, voies de transports, parkings et toits), y compris en montagne, plutôt que de construire des grands parcs en pleine nature ! Mais cela implique une réduction de la consommation, une rationalisation des usages et de l’efficacité que tous ces acteurs économiques refusent d’admettre.

Déni scientifique de l’UDC

Dans ce contexte, la stratégie de l’UDC consiste tout bonnement à nier les causes profondes de la crise écologique majeure que nous vivons tout en limitant la problématique et en détournant l’attention. Le parti a lancé une initiative dite « durabilité » dans un timing parfait de façon à réduire la question de l’impact de la pression anthropique en Suisse sur la biodiversité, et plus généralement sur l’environnement, à celle de la pression démographique [21]. Cela pernet de détourner l’attention du rôle déterminant que joue la pollution chimique, en particulier d’origine agricole, dans l’effondrement des populations d’insectes et d’oiseaux. Il faut également rappeler que c’est l'empreinte écologique par habitant, nos choix technologiques ainsi que la répartition des ressources qui déterminent avant tout notre capacité à respecter les écosystèmes. Ainsi de l’utilisation des sols et de l’étalement des aires d’habitation qui ont augmenté deux fois plus vite que la population entre1985 et 2018! [22]

Alors que les élus parlementaires de ce parti se distinguent par un taux de vote en faveur de l’environnement de 4% seulement [23], tout en se prétendant les nouveaux chancres de la défense de la nature, ils détournent sans complexe le terme même de « durabilité » pour en faire un instrument xénophobe. Nous retrouvons là le mensonge simple et net d’affirmer une intention alors que les actions déterminantes sont en complète contradiction. Durant ces dernières sessions parlementaires les élus UDC, ainsi que la majorité bourgeoise, se sont distingués par des décisions particulièrement défavorables à la biodiversité, ainsi qu’à la santé humaine. Ils ont affaibli la loi sur le CO2 (pourtant principal instrument pour réaliser la volonté populaire exprimée en juin 2023), réduit la protection contre le bruit, induit une augmentation des polluants de l’air, bloqué l’avancée du plan de réduction des pesticides de la Confédération, amoindri la protection de la forêt, des marais et des zones alluviales, pour ne donner que quelques exemples.

Dans un tel contexte d’attaques contre la biodiversité, l’inscrire dans notre Constitution semble vraiment le minimum !

Sources

[1] Désinformation: une guerre du XXIe siècle – Le dessous des cartes | ARTE https://www.arte.tv/fr/videos/114573-003-A/le-dessous-des-cartes/

[2] https://www.rts.ch/info/suisse/2024/article/legere-avance-pour-l-initiative-sur-la-biodiversite-et-incertitude-pour-la-reforme-lpp-selon-un-sondage-ssr-28599485.html, consulté le 18 août 2024

[3] OFEV, Espèces et milieux menacés en Suisse, synthèse, 2023 : https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/biodiversite/publications/publications-biodiversite/especes-menacees-suisse.html

[4] https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/biodiversite/info-specialistes/etat-de-la-biodiversite-en-suisse/etat-des-milieux-naturels-en-suisse.html, consulté le 18 août 2024

[5] https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/sol/en-bref.html#-808791667, consulté le 18 août 2024

[6] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/espace-environnement/indicateurs-environnement/tous-les-indicateurs/reactions-de-la-societe/zones-protegees.html#:~:text=Zones%20strictement%20protégées%3A%20elles%20comprennent,%2C%20prairies%20et%20pâturages%20secs), consulté le 18 août 2024

[7] https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264279674-en.pdf?expires=1724001697&id=id&accname=guest&checksum=F0AFAA7C5C4E90C224DF9571E236E0FB, p.

[8] https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=File:Protected_terrestrial_area,_2013_YB15-fr.png

[9] Rutishauseret. al, 2023 : Estimation de la surface nécessaire pour le maintien de la biodiversité suisse. Analyse des surfaces de qualité existantes et des besoins en surface de qualité basés sur les données espèces des centres nationaux. InfoSpecies, Neuchâtel, https://www.infospecies.ch/fr/assets/content/documents/infospecies-2023-surfaces-maintien-biodiversite-suisse.pdf

[10] https://www.initiative-biodiversite.ch/initiative/, consulté le 18 août 2024

[11] Interpellation V. Python du 20.07.2022, https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223947

[12] https://www.parlament.ch/fr/biografie/magdalena-martullo-blocher/4167, consulté le 30 mai 2024

[13] https://www.sbv-usp.ch/fr/voici-ce-que-font-les-paysans-pour-promouvoir-la-biodiversite, visionnée le 5 août 2024

[14] https://www.blw.admin.ch/blw/fr/home/instrumente/direktzahlungen/oekologischer-leistungsnachweis.html, consulté le 7 août 2024

[15] Agridea, Promotion de la biodiversité dans l’exploitation agricole, fiche thématique 2024, https://agridea.abacuscity.ch/fr/A~1443~1/3~410420~Shop/Publications/Production-végétale-Environnement/Aspects-légaux-et-administratifs/Promotion-de-la-biodiversité-dans-l%27exploitation-agricole/Allemand/Print-papier

[16] https://www.rts.ch/info/suisse/2024/article/le-nombre-d-exploitations-agricoles-baisse-mais-la-part-de-bio-augmente-en-suisse-28501998.html, consulté le 21 août 2024

[17] https://www.agrarbericht.ch/fr/politique/paiements-directs/contributions-a-la-biodiversite, consulté le 7 août 2024.

[18] Voir le tableau « contribution à la biodiversité 2022 : mise en réseau : https://www.agrarbericht.ch/fr/politique/paiements-directs/contributions-a-la-biodiversite

[19] Voir à ce sujet les débats parlementaires lors de la révision de la politique agricole en 2022 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-amtliches-bulletin#k=PdAffairId:20200022

[20] https://initiativebiodiversite-non.ch/arguments.html, consultée le 19 août 2023

[21] https://www.udc.ch/actualites/publications/exposes/un-non-clair-a-linitiative-extreme-de-la-gauche-sur-la-biodiversite-est-absolument-necessaire/, consulté le 19 août 2024

[22] https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/sol/en-bref.html#-808791667, consulté le 18 août 2024

[23] https://ecorating.ch/fr/find?type=abstimmungsverhalten-eidgenossisch&group=51-legislatur-2019-2023-nationalrat&commission=1, consulté le 10 août 2024

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