Des petites bêtes qui ont une grande valeur pour la société – ce n'est plus un scoop depuis longtemps: la pollinisation assurée par les abeilles et Cie est précieuse. En vue de l'initiative sur la biodiversité, qui sera soumise à votation populaire à l'été 2024, nous nous penchons ici plus précisément sur le service de pollinisation de ces insectes et montrons quels en sont les enjeux.
Dans le monde entier comme en Suisse – surtout en comparaison avec les pays voisins – la biodiversité est en recul, et avec elle un pilier vital pour notre subsistance [1]. Cette diminution de la diversité écologique concerne également les insectes pollinisateurs. Pourtant, ces animaux sont essentiels à la survie de nombreux autres êtres vivants, y compris l’être humain. Grâce à la pollinisation qu’ils effectuent quotidiennement, ils fournissent une prestation écologique essentielle. Mais qu’est-ce que la pollinisation ?
La pollinisation désigne le transport du pollen (organe reproducteur mâle des plantes à fleurs) vers le stigmate (récepteur de l’organe reproducteur femelle). Ce n’est que lorsqu’un grain de pollen provenant de l’espèce végétale correspondante est déposé sur le stigmate qu’un fruit peut se développer dans l’ovaire. Ce processus permet aux plantes à fleurs de se reproduire sexuellement. Ce faisant, de nouvelles combinaisons génétiques apparaissent chez les descendants – comme pour nous, les humains. Certaines plantes laissent le vent transporter leur pollen, mais la plupart des plantes à fleurs sont conçues pour que le pollen soit transporté d’une fleur à l’autre par les insectes. De leur côté, les insectes sont en fait à la recherche de nectar ou de pollen et déposent au passage le pollen récolté sur de nouvelles fleurs. [2]
Les insectes pollinisateurs sont les abeilles (sauvages et mellifères), les papillons de jour et de nuit, les guêpes, les mouches (surtout les syrphes), les coléoptères et les fourmis. Les abeilles – dont font d’ailleurs partie les bourdons – tiennent le premier rôle dans ce domaine. Contrairement aux autres insectes pollinisateurs, elles ne se nourrissent pas seulement elles-mêmes de nectar et de pollen, mais aussi leur progéniture. Par conséquent, elles visitent un plus grand nombre de fleurs et ont développé des stratégies de collecte très efficaces. [3]
Les abeilles mellifères et les abeilles sauvages sont donc les insectes les plus importants parmi les pollinisateurs. Ce qui distinguent ces deux types d’abeilles sont leurs comportements. Contrairement à l’abeille mellifère, pratiquement toutes les abeilles sauvages, à l’exception des bourdons et des abeilles du genre Lasioglossum, vivent en solitaire et ne forment pas de colonies. Plus d’un tiers des espèces d’abeilles sauvages suisses sont spécialisées dans certaines espèces ou genres de plantes et sont donc indispensables à leur reproduction. Inversement, ces abeilles sauvages ne peuvent être présentes que là où il y a suffisamment de fleurs de ces espèces végétales, car leur rayon de vol ne dépasse généralement pas quelques centaines de mètres (jusqu’à 1,75 km pour les bourdons)[4]. Les abeilles mellifères sont moins sélectives dans leur choix de fleurs (terme technique : oligolectiques), mais elles ne sont en revanche pas capables de polliniser des plantes spécialisées. Les abeilles méllifères et sauvages se différencient également par leur période d’activité : de nombreuses espèces d’abeilles sauvages (en particulier les bourdons) continuent à butiner les fleurs des plantes cultivées à des températures et dans des conditions météorologiques où les abeilles mellifères ne volent plus [5]. Les espèces se complètent donc mutuellement, c’est pourquoi la combinaison de différents pollinisateurs est propice à une pollinisation réussie et productive. D’une manière générale, on peut toutefois affirmer que le service de pollinisation des abeilles sauvages est essentiel pour la diversité des plantes et la garantie des récoltes, car elles pollinisent les cultures plus efficacement que les abeilles mellifères.[6]
Sans les insectes pollinisateurs, nombre de nos plantes cultivées et sauvages n’existeraient pas. Ils garantissent la maturation des cultures et la reproduction sexuelle des plantes. Plus de 85% de toutes les plantes à fleurs dans le monde bénéficient de la pollinisation, et pour la moitié d’entre elles, la production de graines serait simplement impossible sans les pollinisateurs [3]. En Suisse, les cultures pollinisées par les insectes correspondent à une surface estimée entre 40 000 et 50 000 ha et peuvent être catégorisées de la manière suivante [7] :
Pour l’année 2014, la valeur de production annuelle en Suisse résultant de la pollinisation était estimée à 341 millions de francs suisses [7], soit plus de quatre fois la valeur de l’ensemble des produits apicoles. Toutefois, il convient de noter que ce chiffre est une estimation comportant quelques facteurs inconnus et qu’il doit être considéré davantage comme une valeur indicative (en réalité, le chiffre est probablement plus élevé). De plus, la « valeur biodiversité » issue de la pollinisation des plantes sauvages n’est pas prise en compte. Des études d’Agroscope [7] ont par exemple mis en évidence un potentiel de rendement sous-exploité pour les arbres fruitiers, qui pourrait être valorisé par une meilleure pollinisation. Une autre étude a calculé que le coût moyen des récoltes au niveau mondial augmenterait de 187% si les pollinisateurs disparaissaient.[8]
Les pollinisateurs sont essentiels non seulement du point de vue de l’économie agricole et de la sécurité alimentaire, mais aussi pour la stabilité des écosystèmes terrestres [9]. Grâce au butinage, ces insectes contribuent à la préservation des plantes sauvages. Les plantes sauvages sont elles-mêmes un maillon important du réseau alimentaire, car de nombreux autres êtres vivants (p. ex. les animaux herbivores, c’est-à-dire qui se nourrissent exclusivement de plantes) dépendent de leur existence. Dans ce contexte, la pollinisation par les insectes ne se résume pas au fait que les plantes peuvent se reproduire, mais représente également un avantage pour les plantes concernant leur stratégie de reproduction. En effet, certaines plantes peuvent également se reproduire de manière végétative (reproduction par certaines parties de la plante, engendrant des individus génétiquement identiques à la plante mère) ou s’autoféconder. L’autofécondation est certes une reproduction sexuelle, mais les descendants restent génétiquement très proches de la plante mère. Une reproduction sexuelle impliquant deux individus différents génère quant à elle de nouvelles combinaisons génétiques. Celle-ci comporte de nombreux avantages, car un pool génétique important (somme de toutes les variations génétiques d’une espèce) rend l’espèce plus résiliente aux perturbations et moins sensible aux maladies. Une étude française [10] a récemment découvert que le déclin des insectes pollinisateurs avait entraîné une augmentation de l’autofécondation des plantes. Ce qui peut à nouveau accélérer le déclin des pollinisateurs. Une boucle effrayante, qui peut – en raison du manque de diversité génétique – conduire à une déstabilisation supplémentaire de nos écosystèmes.
L’abeille mellifère, en tant qu’espèce élevée par l’être humain, n’est pas menacée par cette situation. Elle souffre certes de l’infestation du Varroa (Varroa destructor),[14] mais l’être humain peut la reproduire à volonté et la nourrir avec du sucre en cas de manque de nourriture. Comme l’abeille mellifère, formant des colonies et élevée par l’être humain, atteint des densités de population élevées et utilise les mêmes ressources alimentaires, elle représente une concurrence directe pour les abeilles sauvages. Une diminution du butinage des fleurs par les abeilles sauvages a été constatée aussi bien dans les zones urbaines que dans les zones naturelles, en raison de la présence[15] d’abeilles[16] mellifères. Ce sont donc surtout les abeilles sauvages qui sont mises sous pression en raison de divers facteurs de stress.
La menace que représentent les polluants pour les abeilles sauvages comporte deux facettes. Ces deux effets sont le résultat de l’agriculture intensive :
Compte tenu des nombreux services que les insectes pollinisateurs rendent à l’être humain et aux écosystèmes, et du rôle incontournable que jouent les abeilles sauvages, leur déclin est une réalité plus que tragique. C’est pourquoi il est d’autant plus important de préserver les populations encore existantes et de mettre en place des mesures permettant aux insectes pollinisateurs de se reproduire.
Les mesures de préservation des abeilles sauvages ont déjà fait leurs preuves par le passé. Il s’agit maintenant de continuer sur cette voie en les perfectionnant et en les appliquant à grande échelle. Cela inclut des mesures telles que : Favoriser une diversité florale persistante; créer des sites de nidification; réduire l’utilisation de pesticides. Le plus important étant de combiner les différentes mesures. Une intensification de la couverture florale accompagnée d’une utilisation élevée de produits phytosanitaires peut par exemple avoir des effets contraires (voir l’exemple des bandes fleuries, fig. 1).
[Source article original: Ohnegift.ch]
Tous nos remerciements à l'équipe de ohnegift qui nous a gentiment donné la permission de reproduire leur article.
[1] https://www.biodiversitaetsinitiative.ch/biodiversitatskrise/
[2] Pickhardt & Fluri (2000): Die Bestäubung der Blütenpflanzen durch Bienen Biologie, Ökologie, Ökonomie
[3] Bienenfachstelle Kanton Zürich (2024): Bedeutung für Mensch und Umwelt
[4] BAFU (2022): Wild und wertvoll und Flugradius Hummeln: https://www.wildbienen.de/wbs-dist.htm
[5] Tuell & Isaac (2010): Weather During Bloom Affects Pollination and Yield of Highbush Blueberry
[6] Garibaldi et al (2013): Wild pollinators enhance fruit set of crops regardless of honey bee abundance
[7] Sutter et al (2021): Bestäubung von Kulturpflanzen durch Wild- und Honigbienen in der Schweiz: Bedeutung, Potential für Ertragssteigerungen und Fördermassnahmen.
[8] Uwingabire & Gallai (2024): Impacts of degraded pollination ecosystem services on global food security and nutrition
[9] Guntern et al. (2014): Bienen und andere Bestäuber. Akademie der Naturwissenschaften Schweiz (SCNAT)
[10] Acoca-Pidolle et al (2023): Ongoing convergent evolution of a selfing syndrome threatens plant–pollinator interactions
[11] Vgl. Zum Stand der Roten Listen des BAFU
[12] Bienenfachstelle Kanton Zürich (2023): Gefährdungslage
[13] Goulson et al. (2015): Bee declines driven by combined stress from parasites, pesticides, and lack of flowers
[14] Genersch (2010): Honey bee pathology: current threats to honey bees and beekeeping
[15] MacInns et al (2023): Decline in wild bee species richness associated with honey bee (Apis mellifera L.) abundance in an urban ecosystem
[16] Torné-Noguera et al (2016): Collateral effects of beekeeping: Impacts on pollen-nectar resources and wild bee communities
[17] Bosshard (2016): Das Naturwiesland der Schweiz und Mitteleuropas, S. 17
[18] Belsky & Joshi (2020): Effects of fungicide and herbicide chemical exposure on Apis and non-Apis bees in agricultural landscape
[19] Chandler et al (2020): Exposure of the common eastern bumble bee, Bombus impatiens (cresson), to sub-lethal doses of acetamiprid and propiconazole in wild blueberry